
Dans le temple du général, à qui l'on offre de l'encens comme on en offre au bouddha, je trouvai une statue de Du Fu, poéte maudit de la dynastie des Tang, au VIIIéme siécle. Sa vie fut proprement déchirante, une jeunesse brillante, conversant avec les plus grands lettrés, un voyage de quatre ans au nord de la chine où il bu, composa, chassa à dos de cheval (à cette époque toute bonne éducation devait inclure un long voyage - que nos DRH censeurs s'en inspirent), son malheur commença lorsqu'il échoua aux examens impériaux, plus érudit que ses correcteurs il ne put s'en faire comprendre. Il essaya et parvint de temps en temps à se rapprocher de l'empereur et acquérir une charge, seul métier pour un lettré souhaitant exercer sa vocation, mais vécut souvent dans la misère, s'exila maintes fois en raison des troubles qui traversaient le pays, vut mourir quelques-uns de ses enfants, et le reste tomber dans l'ignorance la plus crasse faute de moyens, lui le fier héritier d'une longue lignée de littérateurs. Restent ses poémes, la plupart qu'on devine composés sous l'effet de l'alcool, seul baume à son destin perdu. Mes amis m'ayant offert un recueil de lui, voici un extrait, pas spécialement représentatif d'ailleurs car nombre de ses poémes célébrent la nature et les moments simples de l'existence:
« Décrivant mon sentiment
Au profond de la nuit, assis dans la véranda du sud,
la lune brillante éclaire mes genoux
une brusque rafale de vent renverse le Fleuve céleste,
sur les poutres de la maison déjà le soleil se lève
au sein de la multitude des êtres, chacun, après avoir passé la nuit,
vole ou rampe en compagnie de ses congénères
je dépêche moi aussi mes fils,
afin qu'ils s'affairent pour mon profit personnel
sous le ciel froid les voyageurs sont rares,
à la fin de l'année le soleil et la lune sont préssés
la gloire et le renom égarent les hommes,
dans ce monde chaotique ils s'agitent comme des poux
les anciens, bien avant les trois souverains saints,
une fois leur ventre rempli, n 'avaient d'autre désir
pourquoi avoir inventé l'écriture en noeuds de corde?
C'est elle qui nous a piégé, qui nous a englué
en tête des criminels celui qui frotta du bois pour produire le feu
le malheur empira avec le pinceau de l'historien Tong Hu
regardez autour de la flamme de la lampe,
tournoyer le papillon de nuit
pourtant, si on laisse aller son esprit au-delà des huit extrémités,
qu'on regarde en haut ou en bas c'est partout la même quiétude
quand on comprend enfin sa véritable nature,
n'obtient-on pas l'or magique de l'immortalité? »
C'est très chinois, sûrement influençé par le Dao de Lao Zi (plus là-dessus plus tard), ça rappelle aussi
les Travaux et les Jours d'Hésiode:
"En effet, les dieux cachèrent aux mortels le secret d'une vie frugale. Autrement le travail d'un seul jour suffirait pour te procurer les moyens de subsister une année entière, même en restant oisif. Tu suspendrais soudain le gouvernail au-dessus de la fumée et tu laisserais reposer tes boeufs et tes mulets laborieux. Mais Jupiter nous déroba ce secret, furieux dans son âme d'avoir été trompé par l'astucieux Prométhée. Voilà pourquoi il condamna les hommes aux soucis et aux tourments. Il leur avait caché le feu ; mais le noble fils de Japet, par un adroit larcin, le leur apporta dans la tige d'une férule, après l'avoir enlevé au prudent Jupiter qui aime à lancer la foudre. Ce dieu qui rassemble les nuages lui dit en son courroux :'Fils de Japet, ô le plus habile de tous les mortels ! tu te réjouis d'avoir dérobé le feu divin et trompé ma sagesse, mais ton vol te sera fatal à toi et aux hommes à venir. Pour me venger de ce larcin, je leur enverrai un funeste présent dont ils seront tous charmés au fond de leur âme, chérissant eux-mêmes leur propre fléau.'"
