
En montant dans le train l'on comprend enfin, leur but est l'occupation stratégique du terrain. Les familles se regroupent autour des couchettes ou siéges (suivant la classe), occupant d'autres places que les leurs puis parlementant pendant une dizaine de minutes pour convaincre leurs propriétaires légitimes du bien-fondé de leur démarche. Plus le groupe est élargi, plus il comprend des personnes âgées ou des enfants en bas âge, et plus il a des chances de gagner. Ce n'est pas tout, les tables sont rares et précieuses, chacun de se précipiter et d'étaler des monceaux de nourriture, boissons et cigarettes, pour une raison étrange les chinois mangeant en permanence dans le train. Il semble d'ailleurs qu'une loi gouverne leur goûts qui maximise le ratio volume occupé / valeur nutritive tout en assurant un seuil elevé à la variable odeur de poisson fermenté. Ils trainent avec eux des sacs de nourriture qui prennent autant de place que leurs bagages utiles. L'espace acoustique n'est pas négligé, les plus rapides dégainent leurs téléphones portables ou IPods et font profiter tout le monde d'un bruit de fond de pop douceâtre. Puis il y a la ruée aux thermos, chaque wagon est équipé d'une grande bouilloire à laquelle viennent se servir les voyageurs armés de multiples réceptacles dont ceux fournis dans chaque compartiment (pour thé et pâtes lyophilisées). Comme souvent en Chine, le collectif peut souffrir de l'avidité individuelle, il peut arriver qu'il n'y ait plus d'eau dans la bouilloire et que les thermos se refroidissent, ne laissant au bout du voyage que de l'eau tiéde pour tout le monde, inutilisable.
Une fois que chacun a trouvé sa place, les festivités peuvent commencer. Les voisins se parlent immédiatement, de grands éclats de rire s'élévent, des parties de carte se lancent, certains chantent, les raclements de gorge si caractéristiques de la Chine se font entendre et les premiers crachats pleuvent. Viennent ensuite le va et vient des contrôleurs, en Chine l'on échange votre billet contre une petite carte en plastique et le billet vous est restitué avant votre gare d'arrivée, c'est bien pratique car si l'on s'assoupit l'on ne rate donc pas son arrêt. Le contrôleur dans certains trains nettoie aussi les toilettes, change les draps, vide les poubelles, remet du charbon pour faire chauffer la bouilloire, la Chine n'ayant visiblement pas encore découvert le syndicaliste SUD-Rail. Toutes les cinq minutes, des employés passent dans les wagons avec des chariots chargés de victuailles, et l'on se croirait sur une plage de la côte d'azur, "des glaces, j'ai des glaces, de la bière, elle est fraîche ma bière", d'autres vendent des gadgets et des magazines, ou se baladent avec des lecteurs de DVDs pour faire payer le visionnage d'un film, chacun bien sûr vient ajouter sa voix au concert général.
L'expérience est plutôt agréable et les chinois très curieux comme je l'avais déja dit. Il faut cependant éviter de se retrouver dans le même compartiment (des demi-compartiments d'ailleurs, n'ayant pas de porte) que des bébés ou très jeunes enfants. Non qu'ils pleurent ou crient, les enfants chinois étant incroyablement sages ou hilares, non, le problème c'est que les chinois n'utilisent pas les couches, ou alors seulement pour la grosse commission. A la place, les enfants portent des pantalons troués, et à intervalles réguliers leurs parents tranquillement assis à côté de vous les soulévent au-dessus du sol et les encouragent avec maints sifflements afin qu'ils se soulagent. Puis comme si de rien n'était ils essuient vaguement sous leurs pieds avec du papier journal qu'ils déposent ensuite dans la poubelle qui se trouve sous votre nez. Dans ces moments-là vous vous prenez à faire les yeux doux à votre voisin pour qu'il allume une cigarette et vous crache la fumée dans la figure et vous ne regardez plus jamais de travers les quelques indélicats qui crachent à vos pieds.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire